- POLÉMOLOGIE
- POLÉMOLOGIELa polémologie est née en 1945 d’une réflexion sur l’échec du pacifisme. Constatant que les condamnations successives de la guerre n’avaient jamais réussi à la prévenir, Gaston Bouthoul, puis les chercheurs qui ont travaillé avec lui, ont voulu explorer des voies nouvelles en adoptant pour principe: «Si tu veux la paix, connais la guerre.» Sociologie des guerres, la polémologie apporte un savoir et se développe en dehors de toute praxis. Son approche se veut, selon l’impératif wébérien, axiologiquement neutre. Si son objet premier est une recherche causale, le projet polémologique ne se limite pas à une étiologie des conflits: il cherche à les appréhender par une approche fonctionnelle. Il prend ainsi le contre-pied des démarches dont le fondement éthique exclut par principe toute nécessité fonctionnelle aux phénomènes belliqueux. Repoussant la tentation de l’irénisme, il se fixe comme tâche l’étude des conflits parce que ceux-ci sont observables et quantifiables; il ne leur reconnaît donc aucun caractère exceptionnel par rapport à une norme qui serait la paix.Bien que l’objectif déclaré de la polémologie soit de rendre possible, par une meilleure compréhension des guerres, la recherche d’un substitut fonctionnel, elle n’est pas un discours de l’action finalisée et reste une phénoménologie. Ses limites sont donc inhérentes à son objet, qui est l’étude scientifique des guerres, paix et conflits violents, tant au niveau des structures qui les conditionnent qu’à celui des conjonctures qui les génèrent. L’observation des phénomènes forme un préalable à leur maîtrise, mais elle ne constitue qu’un outil. La polémologie est donc conduite à se laisser enfermer dans le champ clos des observations quantitatives au moment même où la violence nucléaire, dont les effets sont difficilement quantifiables parce qu’elle n’agit plus que par ses virtualités, transforme la nature des phénomènes conflictuels.Fondements de la polémologieLa démarche de G. Bouthoul s’inscrit en réaction contre les penseurs et les hommes politiques qui ont tenté d’obtenir une éradication de la guerre par sa «mise hors la loi». Niant la «pseudo-évidence» de la guerre, il veut faire de celle-ci un objet d’études. Les pacifistes n’ont jamais opposé aux guerres qu’une pétition de principe selon laquelle elles constitueraient un état pathologique, mais curable, des sociétés humaines. Au point de départ de la polémologie se trouve donc une analyse du pacifisme et de ses échecs. Pour les pacifistes, la guerre est un crime dont il faut chercher les auteurs: les «fauteurs de guerre» sont tantôt les hommes au pouvoir, tantôt des comploteurs intéressés; ou encore, un certain type d’institution serait propre à sécréter la guerre. Ainsi, le XVIIIe siècle a construit une théorie de l’origine monarchique de la guerre. Le danger d’une telle théorie est qu’elle légitime la violence: pour abattre les despotes, on a remplacé les guerres dynastiques – qui elles-mêmes avaient succédé aux guerres féodales – par les guerres nationales.C’est pourquoi il faut suivre une démarche intellectuelle inverse. La polémologie pose un postulat selon lequel il est vain d’essayer d’approfondir les motivations d’un homme-sujet, maître d’une violence organisée dont il perdrait cependant le contrôle; renversant les données du pacifisme classique, il convient de rechercher la vraie nature du phénomène guerre qui, sous des formes diverses, mais en tout temps, conditionne la vie et la mort de l’homme, objet de forces qui le dépassent. «On croit, écrit Gaston Bouthoul dans Avoir la paix , que la guerre est un instrument à la disposition des peuples et des gouvernements. N’y aurait-il pas lieu d’inverser les termes et de penser que c’est au contraire l’homme qui est le jouet de la guerre?»Ainsi, la guerre sort du domaine du sacré où l’avaient enfermée ses thuriféraires tout comme ses procureurs pour devenir une catégorie de la sociologie. L’échec de la recherche appliquée s’explique, en matière de conflits, par l’absence d’une recherche fondamentale: seule la sociologie peut permettre de penser la guerre et donc de fournir au politique les instruments propres à la comprendre et à l’évacuer, parce que, comme l’écrit Max Weber dans Économie et société , «elle élabore des concepts de types et elle est en quête de règles générales du devenir [...]. Que l’objet de son étude soit rationnel ou irrationnel, la sociologie s’éloigne de la réalité et rend service à la connaissance en ce sens que, en indiquant le degré de l’approximation d’un événement historique relativement à un ou plusieurs concepts, elle permet d’intégrer cet événement.» Suivant la démarche wébérienne, la polémologie refuse tout a priori et, cherchant son aliment dans l’histoire, recense les éléments propres à catégoriser les processus et les comportements belliqueux. Elle se différencie donc de la stratégie qui pense l’action collective finalisée en milieu conflictuel, tout autant que de l’histoire militaire, qui rend compte de l’activité belliqueuse des hommes dans le temps, et de l’art militaire qui théorise cette activité.Mais surtout elle concerne le savant, et non le militant. Elle n’est pas une morale. Elle se cantonne dans l’étude des phénomènes observables. Apportant une contribution, au départ spécifiquement française, à un vaste mouvement d’idées provoqué par les deux guerres mondiales, Gaston Bouthoul et ses émules ont constamment cherché à se démarquer des recherches connexes qui risquaient de dénaturer le sens de leurs travaux. Celles-ci ont, en effet, très souvent pris une coloration politique, religieuse ou idéologique précise. Elles se sont d’ailleurs développées, sous l’égide d’une Association internationale de recherches sur la paix, à la fois dans les pays occidentaux (où les Anglo-Saxons et les Scandinaves ont été les plus actifs), dans les pays de l’Est et dans le Tiers Monde. Le terme de polémologie ne s’est guère imposé hors de France et des pays latins. Ailleurs, on lui a en général préféré celui de peace research . Or ce dernier est ambigu puisqu’il signifie tout à la fois «recherche sur la paix» et «recherche de la paix». Si, dans la première acception, la peace research est très proche des préoccupations de l’école française telles qu’elles viennent d’être définies, en revanche, dans la seconde, elle s’en éloigne car elle se rapproche alors de l’action militante.Pendant longtemps, les États-Unis ont joué un rôle prépondérant dans cette discipline. Partis eux aussi d’une réflexion sur la Seconde Guerre mondiale, les chercheurs américains ont essayé d’approfondir les mécanismes mentaux qui avaient permis la montée des régimes totalitaires et bellicistes. Puis l’apparition des armes nucléaires et la tension née de la guerre froide leur ont donné des ambitions nouvelles. Dénonçant la faillite de la «science des relations internationales», la peace research cherche à se constituer en science autonome, avec l’ambitieux objectif de prévenir ou d’apaiser les conflits. Mettant à son service les méthodes quantitatives et la théorie des jeux, elle analyse les tensions et les chances du désarmement. Enfin, et surtout à partir de 1968, elle subit une inflexion, sous l’influence des Scandinaves (notamment le Norvégien J. Galtung) et de la Friedensforschung allemande.Le champ de la recherche s’élargit à la «violence institutionnelle», celle qui serait le résultat d’un certain état des rapports humains se traduisant par un système oppressif; la paix est présentée comme une ère promise où doit régner la justice. En fait, on aboutit, sous des apparences scientifiques, à une nouvelle forme de pacifisme militant, teinté de messianisme, ou même à la légitimation d’une violence «libératrice», en particulier de la part des pays du Tiers Monde, désignés comme les victimes de «conflits asymétriques» et de rapports de forces inégaux.Ces orientations, nées de la combinaison d’une approche marxiste et d’une sensibilité protestante volontiers moralisante, n’ont pas empêché la permanence d’une peace research marquée par l’utilitarisme anglo-saxon: comme en économie classique, l’homme est supposé vouloir en toutes circonstances maximiser sa satisfaction; fort de ce postulat, le spécialiste de la peace research peut prétendre que la paix sera assurée quand il aura prouvé la nocivité de la guerre.Les divergences entre les courants qui viennent d’être décrits et la polémologie française sont donc profondes. Celle-ci se veut en effet une science neutre, objective, débarrassée de tout a priori et de toute finalité politique; elle refuse de prendre en considération une extension des concepts de guerre et de violence qui ferait perdre à ceux-ci leur spécificité et de s’associer à un projet «éducatif» qui la dénaturerait. Enfin, elle partage le point de vue de Raymond Aron qui, dans la conclusion de son Clausewitz. Penser la guerre , dénonce «la nouvelle grande illusion, celle des Européens, parfois même celle des Américains, qui prêtent à tous les peuples et à tous ceux qui les gouvernent une seule rationalité, celle des économistes qui comparent le coût et le rendement»; elle nie que la guerre soit le fruit du calcul d’un Homo œconomicus conscient de ses intérêts bien compris, et à qui il suffirait donc de montrer qu’il a jusqu’à présent fait fausse route. C’est que ses investigations l’ont conduite à des conclusions toutes différentes.Les méthodes de polémologieGaston Bouthoul commence par tenter de définir le «phénomène guerre» qu’il veut étudier. Les définitions classiques lui semblent trop restrictives: pour Grotius (De jure belli , I), il s’agit d’un «recours collectif à la force»; pour Clausewitz, c’est «un acte de violence dont le but est de forcer l’adversaire à exécuter notre volonté». Il repousse de même les définitions d’auteurs récents dont il s’inspire, comme Quincy Wright, qui caractérise la guerre comme «un conflit simultané de forces armées, de sentiments populaires, de dogmes juridiques, de cultures nationales». En fait, il refuse d’aborder la guerre sous un angle qu’il juge trop philosophique, juridique ou idéologique. Pour lui, elle est «la lutte armée et sanglante entre groupes organisés» (Traité de polémologie ). Sa caractéristique essentielle est donc d’être «méthodique et organisée quant aux groupes qui la font et aux manières dont ils la mènent». Mais il reconnaît qu’une définition exhaustive supposerait une connaissance parfaite du phénomène, et qu’il faut se contenter d’une définition provisoire. Ce problème conceptuel est bien, comme on le verra, une des difficultés de la polémologie.Avant d’entreprendre une recherche sur les symptômes, les causes et les effets des guerres, G. Bouthoul a fixé pour tâche au polémologue de réfléchir sur les doctrines et les opinions qu’elles ont suscitées. Les cosmogonies et les mythologies antiques sont presque toujours centrées sur la guerre. Les dieux, victorieux de monstres, de démons ou de géants, sont à l’origine des combattants; le culte s’accompagne de sacrifices, qui intéresseront les divinités à l’entreprise guerrière; le paradis est promis aux guerriers les plus braves. Quant aux religions monothéistes, elles ont justifié, à différentes époques, la «guerre sainte», puis après saint Thomas d’Aquin, la guerre dite «juste».La pensée philosophique, la plupart du temps, a aussi justifié la guerre. G. Bouthoul mentionne le cas particulier de la Chine, mais constate: «Cette unanimité pacifiste absolument générale à travers la philosophie chinoise n’a pas empêché la Chine d’être perpétuellement en guerre.» Étudier la pensée des «apologistes de la guerre» fait partie de la polémologie, car ils se sont consacrés les premiers à une réflexion approfondie sur sa nature, notamment après Hegel, qui voit en la guerre l’accomplissement de l’État. Joseph de Maistre croit en la vertu régénératrice des guerres; il met en lumière leur côté «inexplicable» (cette frange d’irrationalité qui est précisément un des principaux objets d’étude des polémologues), mais c’est pour en démontrer le caractère «divin». En bonne place parmi ces apologistes, il faut placer Proudhon: «Salut à la guerre, écrit-il dans La Guerre et la Paix . C’est par elle que l’homme, à peine sorti de la boue qui lui servit de matrice, se pose dans sa majesté et dans sa vaillance... Ce sang versé à flots, ces carnages fratricides font horreur à notre philanthropie. J’ai peur que cette mollesse n’annonce le refroidissement de notre vertu.» La guerre est donc, selon Proudhon, indispensable au développement de l’humanité. Pour Spencer et les évolutionnistes, la guerre est temporairement utile à la formation des sociétés, mais elle devient nuisible dans les nations évoluées: «La guerre a donné tout ce qu’elle pouvait.»Quant à la pensée nietzschéenne, elle reste inclassable; certes, elle exalte la vertu guerrière, mais c’est parce qu’elle exalte tout ce qui magnifie la vie et condamne tout ce qui la restreint: la volonté de puissance de celui pour qui seule compte la lutte le voue à une existence de démesure. On voit combien la limite est indécise entre l’apologie de l’engagement guerrier et l’aspiration au dépassement de soi-même, telle que l’a dépeinte André Malraux dans La Condition humaine : «Être plus qu’homme dans un monde d’hommes. Échapper à la condition humaine [...] non pas puissant, tout-puissant. Sa maladie chimérique dont la volonté de puissance n’est que la justification intellectuelle, c’est la volonté de déité.»L’examen des doctrines, multiples, qui ont ainsi pensé la guerre, conduit le polémologue à constater que si les jugements de valeur sur celle-ci abondent, il manque une analyse des mécanismes permettant d’en comprendre les fonctions. Telle est précisément la raison d’être de son entreprise. Pour la mener à bien, il met à son service une grande variété d’outils (recensements et dénombrements systématiques, recours à l’ordinateur, utilisation de «baromètres polémologiques» prenant en compte l’évolution des facteurs belligènes non mesurables). Il a, par ailleurs, recours à des disciplines diverses. Il demande à l’ethnologie quelle place occupe la guerre chez les primitifs; à l’histoire des techniques, la signification sociologique de l’évolution des armements; à l’art militaire, les lois sociologiques qui conditionnent la préparation de la guerre et le déroulement des combats. Mais, surtout, il fait appel à l’économie, à la démographie et à la psychologie collective.L’approche économique permet de poser quelques questions essentielles. Quelles sont les conditions économiques favorables à l’éclosion des guerres? Selon quels critères peut-on établir un rapport coûts-avantages aidant à déterminer une hypothétique rentabilité ou permettant de dresser un bilan précis des pertes? Pour y répondre, il faut s’engager dans des recherches patientes et complètes; l’approche démographique débouche, d’ailleurs, sur les mêmes exigences. Elle permet de mesurer quel rôle joue la pression démographique dans le déclenchement des guerres. Pour G. Bouthoul, la «relaxation démographique» produite par les guerres étaye la thèse selon laquelle celles-ci constitueraient une institution sociale correspondant à une nécessité fonctionnelle. «La guerre serait ainsi une fonction sociale récurrente, écrit-il dans son Traité , caractérisée par l’accumulation dans une société d’un capital humain dont une partie, à un moment, est brutalement éjectée. Peu importent les circonstances psychologiques et les épisodes historiques de cette expulsion ainsi que ses conséquences: le schéma mathématique reste dans tous les cas le même. De plus, il semble que l’objet primordial de cette élimination soit constitué par les jeunes hommes.» Ensuite survient l’arrêt, pour un temps plus ou moins long, et jusqu’à la réapparition d’une «structure belliqueuse», de la «pulsion belliqueuse». De pareilles conclusions ont pu soulever de vigoureuses protestations. Elles sont pourtant au cœur même de la méthode polémologique. Il s’agit d’établir, en toute lucidité et en toute rigueur scientifique, si, oui ou non, la guerre correspond à un besoin. Et si tel est bien le cas, de conseiller une dérivation, des substituts pour y faire face. Mais ensuite le savant s’efface: il espère avoir donné au politique les moyens intellectuels d’affronter le «défi de la guerre».Enfin, le polémologue considère comme fondamental de mettre au jour les mécanismes de la psychologie collective, ce qu’il appelle les «complexes belligènes». D’abord celui d’Abraham: les pères, en accomplissant un «infanticide différé», assouviraient un désir inconscient de voir les fils sacrifiés à une cause flatteuse. Ensuite, celui du «bouc émissaire»: à la suite de difficultés internes, les frustrations, les craintes, les rancœurs sont projetées sur un ennemi extérieur qui n’est pas toujours désigné comme directement responsable, mais auquel sont attribuées des intentions hostiles. En troisième lieu est analysé le «complexe de Damoclès», considéré comme le plus important par ses implications sociopolitiques: le sentiment de l’insécurité, parce qu’il est à l’origine de réactions disproportionnées de peur, d’agressivité et de violence, peut déclencher à tout moment des phénomènes incontrôlés de panique et de «fuite en avant»; en même temps, la prise de conscience, dans une société composite, d’une telle insécurité raffermit la cohésion interne, toujours précaire, des États.Les limites de la polémologieCe type de réflexion, bien que largement fondé, peut cependant faire sortir la polémologie du domaine qui est le sien, celui de la phénoménologie des conflits, et risque de conduire à poser en axiomes de simples hypothèses heuristiques. C’est au discours plus englobant de la stratégie qu’il convient de laisser, à l’âge nucléaire, l’analyse de la menace et de ses conséquences sur le comportement des populations comme sur celui des dirigeants. Ainsi est-on amené à s’interroger sur les limites de la polémologie.Ce terme a été choisi par G. Bouthoul afin de bien marquer l’orientation qu’il entendait donner à la nouvelle discipline. Le vocable bellum s’applique étroitement à la guerre, d’où l’adjectif «belligène»; celui de polemos s’applique à toutes les formes de conflits, même embryonnaires, comme en témoigne «polémique» et ses dérivés. Le champ d’études de la polémologie se veut donc très large. L. Poirier remarque à ce propos, dans un article d’Études polémologiques («Problématique polémologique et volonté de création»): «Restituer à la polémologie toute l’étendue de son champ d’investigations a pour première conséquence de la relier à la philosophie de l’histoire; d’où les inconvénients de tous ordres qui procèdent de cette discipline dont les contours sont flous, et dans laquelle les opinions peuvent impunément prétendre au poids de rigoureuses conclusions.» Vouloir étudier la violence et les conflits, la paix et la guerre, renvoie sans cesse à une interrogation conceptuelle susceptible de diluer l’argument sociologique. Si l’on définit le conflit comme «un affrontement intentionnel entre deux êtres ou deux groupes d’êtres de la même espèce, animés d’une volonté agressive comportant une intention hostile à cause d’un droit et qui peuvent, le cas échéant, pour maintenir ou retrouver ce droit, essayer de briser la résistance par un recours à la violence» (J. Freund), une relation sociale non violente peut être conflictuelle, de même qu’une violence purement hétérophobe et irraisonnée est susceptible de se déclencher sans aucune des motivations justificatrices qui caractérisent le conflit; quant au concept de paix, il s’applique aussi bien à un optimum abstrait qu’à l’état de non-guerre pendant lequel se déroule le processus étiologique du conflit armé.Le polémologue se trouve donc placé devant un choix difficile. Sommé de définir le domaine exact de sa recherche, il risque, en voulant éviter l’écueil de l’investigation philosophique, de partir de prolégomènes par trop réducteurs qui le confineraient au rôle étroit de comptable appliqué des événements guerriers. C’est pourquoi il faut lui rendre sa vraie place. Là où le théoricien de la guerre nucléaire, dont la spéculation ne peut être étayée par l’étude des précédents, apporte un raisonnement abstrait, le polémologue fournit une rationalisation de l’expérience passée dont la théorisation ne saurait en aucun cas prétendre constituer une rupture épistémologique de la science guerrière. Il en sera tenu compte pour maîtriser une conjoncture concrète, en fonction d’un ensemble de données politiques, économiques, psychologiques; mais dans les moments décisifs où, comme l’a souligné Raymond Aron à propos de la crise de Cuba, «les analystes deviennent acteurs parce que les acteurs pensent en analystes et que les uns et les autres influent sur les conséquences de la crise par l’interprétation qu’ils en donnent», le polémologue a déjà joué son rôle: celui d’un chercheur à qui il appartient de remplir une case essentielle dans la «boîte à outils», de plus en plus complexe et diversifiée, du stratège.• 1946; du gr. polemos « guerre » et -logie♦ Didact. Étude scientifique, sociologique de la guerre. « Les Guerres, éléments de polémologie », ouvrage de G. Bouthoul. — Adj. POLÉMOLOGIQUE ; n. POLÉMOLOGUE .⇒POLÉMOLOGIE, subst. fém.Étude scientifique de la guerre considérée comme phénomène psychologique et social. M. Gaston Bouthoul a fondé la polémologie, étude des guerres (Combat, 12 janv. 1954, p.3, col. 3). Quand elle [la guerre] est repensée par les historiens, et quand enfin, sur le champ de bataille elle se déroule entre gens qui reconnaissent des conventions, celles-ci n'étant pas dictées par le seul souci d'écraser l'adversaire, alors la polémologie permet d'y déceler des éléments ludiques (Jeux et sports, 1967, p.773).Prononc. et Orth.:[
]. Étymol. et Hist. 1946 (G. BOUTHOUL, Cent millions de morts d'apr. Lar. mens., janv. 1948, p.11). Formé des élém. polémo- (du gr.
«guerre») et -logie.
DÉR. Polémologique, adj. Qui a trait à la polémologie. (Dict. XXes.). Activités, études polémologiques. — []. — 1re attest. 1965 (G. BOUTHOUL, Sociologie de la politique, 121 ds ROB. Suppl. 1970); de polémologie, suff. -ique.
BBG. —QUEM. DDL t.21.polémologie [pɔlemɔlɔʒi] n. f.❖♦ Didact. Étude scientifique de la guerre, considérée comme un phénomène d'ordre sociologique. || Les guerres (Éléments de Polémologie), ouvrage de G. Bouthoul.0 (…) Je suis venu à la sociologie de la politique par la polémologie. Car les conflits armés sont toujours précédés et accompagnés de motivations et de raisonnements justificatifs de nature politique. Les guerres sont les moments cruciaux de la vie des sociétés, leurs instants les plus aigus et les plus décisifs.Gaston Bouthoul, Sociologie de la politique, Avant-propos, p. 6.❖DÉR. Polémologique, polémologue.COMP. Psychopolémologie.
Encyclopédie Universelle. 2012.